Éléments d’histoire de la Gironde
De la présence humaine dès l'Aurignacien à la série de décapitations des députés girondins au terme de la Révolution française, la Gironde est quand même en droit de revendiquer une Histoire pour le moins touffue.
Les premières sociétés
À l’instar de la Dordogne, les ressources naturelles de la Gironde (abris sous roche, nombreux cours d’eau, vastes forêts pleines de délicieux gibiers) ont favorisé l’installation de nos ancêtres dès l’ère préhistorique.
Si le patrimoine est moins copieux que celui découvert en terres périgourdines, il présente un intérêt historique certain, ne serait-ce que grâce à la proximité des basses vallées de la Dordogne et de la Garonne. Ainsi, la grotte de Pair-non-Pair, près de Bourg-sur-Gironde, découverte en 1881, a révélé la présence de milliers d’outils en silex, d’objets en ivoire et d’ossements d’animaux, datant de l’Aurignacien (-30 000). Mieux, une soixantaine de figures gravées orne les parois, représentant des cervidés, des mammouths, des bovidés ou encore des félins.
En terres médocaines, à proximité de Soulac, les archéologues ont retrouvé des silex aziliens datant de 9 000 à 8 000 av. J.-C. Il semble d’ailleurs que les hommes se soient durablement installés pendant quelques millénaires sur la façade atlantique, trouvant dans cet environnement maritime une source continuelle de nourriture (poissons, crustacés, gibier) et la garantie d’un joli bronzage doré grâce aux vastes plages qui n’étaient pas encore, ô luxe suprême, sujettes à une surfréquentation touristique.
Dans la région de Pauillac, les hommes de l’âge du Bronze (1 500 avant J.-C.) habitaient des campements à proximité du fleuve.
Le dolmen de Curton, à Jugazan, forme un autre précieux témoignage de la Préhistoire, et plus précisément du Néolithique. Découvert en 1904 par l’abbé Labrie, inscrit au titre des Monuments historiques en 1995, le dolmen abritait huit corps inhumés. L’abbé a également constaté la présence d’un mobilier funéraire, composé de coquillages troués, d’une hache et même d’un vase. Le site, bien conservé, peut toujours être visité aujourd’hui.
Autre vestige digne d’intérêt : l’allée couverte de Roquefort, à Lugasson. D’abord étudié par l’abbé Labrie en 1922, le site a fait l’objet de nouvelles analyses en 1971. Il a été occupé par les hommes il y a environ 6 000 ans (Néolithique). À l’instar du dolmen, l’allée était dédiée aux rites funéraires et servait de sépulture collective.
On trouve aussi quelques menhirs en Gironde, dont le plus remarquable est celui dit de Peyrefitte, à Saint-Sulpice-de-Faleyrens. Probablement érigé entre 2 600-2 300 av. J.-C. (Néolithique récent), il affiche une hauteur respectable de 5,20 m pour une largeur de 3 m.
Tribus gauloises et invasions
En Gironde, deux tribus principales se partageaient le territoire : les Vasates et les Bituriges Vivisci. Les premiers sont un peuple aquitain, proto-basque dont la capitale, Cossio, est connue aujourd’hui sous le nom de Bazas. Les Bituriges Vivisci (ou Bituriges déplacés) sont quant à eux d’origine celtique, ayant quitté la région de Bourges entre la fin de la guerre des Gaules et le règne d’Auguste. Cette peuplade se subdivise en plusieurs entités à travers la Gironde : les Boïates dans le pays de Buch, les Belendi dans celui de Belin et enfin les Medulli, installés à Burdigala (Bordeaux).
Lors de la conquête romaine, les Vasates tentent de résister aux légions de César mais les Bituriges se soumettent sans trop de difficulté, en 56 avant J.-C., à l’autorité de Rome.
Contrairement aux Pétrocoriens installés en Dordogne, les tribus gauloises de la Gironde n’envoient aucun homme prêter main-forte à Vercingétorix lors de la bataille d’Alésia (- 52). Au contraire, Vasates et Bituriges, conscients d’habiter une région qui contrôle entre autres le commerce de l’étain, denrée précieuse, anticipent rapidement les bienfaits de la Pax Romana. À titre d’exemple, la grande voie romaine reliant Arles à Toulouse est prolongée jusqu’à Burdigala, offrant un axe de communication majeur avec les autres contrées.
Doucement mais sûrement, l’organisation et la culture romaines s’imposent. Sous le règne de l’empereur Vespasien (69-79), Burdigala devient une cité importante et acquiert le statut de capitale de province. Quelques décennies plus tard, la ville s’impose comme la métropole de la seconde Aquitaine, un vaste territoire. Afin de confirmer son essor commercial, de nouvelles routes sont pavées, en direction de Périgueux, Agen et Dax.
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Burdigala prospère et se fait belle, notamment grâce à la construction de son amphithéâtre Gallien, de ses thermes, temples et palais, sans oublier la spécialité romaine, les aqueducs. Aux alentours, on procède aux premières plantations de vignes, en privilégiant le cépage vitis biturica, l’ancêtre du cabernet. Le commerce de l’étain de Cornouailles, du bois, de la résine et encore des vins méditerranéens prend son essor. Burdigala est alors considérée comme la « petite Rome ».
Les premiers missionnaires envoyés de Rome suscitent quelques agacements, à l’image de Martial de Limoges (ou Saint-Martial), fondateur de l’église d’Aquitaine, en mission dans le Bordelais vers 250 afin d’évangéliser cette région tout acquise aux dieux romains. Il est inutile de préciser que son accueil n’est pas des plus chaleureux. Néanmoins, il pose les premiers jalons de la religion chrétienne, officielle à partir de 325.
Le personnage emblématique de cette douce époque est sans conteste le poète et universitaire Ausone (310-395), dont la vivacité d’esprit et les qualités oratoires ont dépassé le seul périmètre de Burdigala. On vient de tout l’Empire pour l’écouter et l’empereur Valentinien le convoque à Trèves en 364, où il devient le précepteur du jeune Gratien.
Amoureux fou de sa ville natale et de sa région, Ausone est un épicurien, amateur des huîtres du Médoc, des gibiers et surtout des vins de propriétaires. « Temperat ingenuos qua laeta Aquitanica mores » : L’Aquitaine où s’adoucit la rudesse des mœurs primitives… Les femmes ressentent quelques douces chaleurs à son passage dans les rues de Burdigala, avec l’ambition secrète de partager la couche d’Ausone.
Le Ve siècle siffle le coup d’envoi des invasions diverses et variées. Ce sont d’abord les Vandales qui pillent Bordeaux en 409 et s’installent dans la région, où ils ne resteront que deux années. Viennent ensuite les terribles Wisigoths, maîtres du sud-ouest de la Gaule dès 475. Fort heureusement, Clovis, à la tête des Francs, remporte la bataille de Vouillé en 507 et transperce le cœur d’Alaric II, poussant les guerriers germaniques à reculer jusqu’en Espagne.
Les invasions se succèdent pendant quelques siècles. Musulmans, Carolingiens, Gascons et encore Normands livrent les terres girondines et la cité de Bordeaux aux tueries, pillages, incendies, destructions et autres joyeusetés.
La bataille de Castillon, une date clé de l’Histoire de France
Aliénor d’Aquitaine épouse en 1152 le fougueux Henri Plantagenêt, duc d’Anjou, couronné roi d’Angleterre deux ans plus tard. Elle lui offre en dot son joli duché, qui passe de fait sous domination anglaise. Il le restera pendant près de trois siècles, poussant le royaume de France à initier les premières luttes de reconquête.
Les princes anglais viennent s’installer en Aquitaine. Soucieux de ne pas exacerber les tensions des populations locales, notamment en Gironde, ils autorisent les premières franchises communales, permettant aux villes d’instaurer leur propre gouvernement, d’élire leurs magistrats et de se défendre librement.
Le commerce du vin est resplendissant. Deux fois l’an, 200 voiliers transportent le précieux nectar des quais de Bordeaux vers l’Angleterre.
La « période anglaise » de l’Aquitaine est marquée par de nombreux troubles. Le fils d’Henri II, Richard Cœur de Lion, se comporte en maître abusif. Il pille les richesses du duché, mate les nobles gascons, est accusé à multiples reprises de viols et de meurtres.
En 1337, les rivalités persistantes entre Français et Anglais, entre la dynastie des Plantagenêt et celle des Valois aboutissent à la guerre de Cent Ans avec, en ligne de mire, la mission de récupérer la Guyenne.
En 1362, le roi Édouard III transforme l’Aquitaine en principauté et la confie à son fils aîné Édouard Plantagenêt, dit le « Prince noir ». Ce dernier impose des impôts importants à tous ses sujets pour maintenir son train de vie. Le comte d’Armagnac, Jean 1er, s’y oppose résolument, livre bataille et quémande le soutien du roi de France, Charles V.
Les tensions entre les royaumes d’Angleterre et de France ne cessent de croître. Au gré des conflits locaux, les terres d’Aquitaine sont prises puis rendues aux Anglais.
En 1451, l’armée royale de Charles VII vient de reconquérir la Normandie et se dirige vers la Guyenne, où elle s’empare des villes de Blaye, Libourne, Castillon, Saint-Emilion et Bordeaux. En réponse, le roi d’Angleterre Henri VI envoie une armée, placée sous les ordres de John Talbot. Il reprend Bordeaux en 1452, permettant de réactiver les réseaux commerciaux entre les deux pays.
Fort marris, les Français décident de tendre un piège à proximité de Castillon, le 13 juillet 1453. Les frères Jean et Gaspard Bureau, respectivement trésorier général de France et grand maître de l’artillerie, profitent de la géographie des lieux pour installer stratégiquement les troupes. Le millier d’hommes de la cavalerie bretonne se planque sur la colline d’Horable. Jean Bureau fait installer 300 canons mobiles sur la plaine de Colle.
Lorsque Talbot et ses hommes arrivent à Castillon, au matin du 17 juillet, ils ne perçoivent pas clairement les positions de l’armée française. Les assauts qu’il ordonne sont systématiquement repoussés. Surtout, ils sont tombés dans le piège imaginé par Jean Bureau, qui positionne ses canons sur les troupes anglaises et les quelques milliers de Gascons. Les premiers tirs sont dévastateurs.
Les soldats anglais, dans la force du désespoir, parviennent néanmoins à lancer plusieurs assauts mais ignorent que la cavalerie bretonne, toujours en retrait, est sur le point d’intervenir. C’est le coup de grâce.
Plus de 4 000 Anglais perdent la vie. John Talbot et deux de ses fils sont également tués. De leur côté, les Français ne déplorent qu’une centaine de tués et de blessés. Cette large victoire permet à la Guyenne de redevenir française et, surtout, de mettre fin à la guerre de Cent Ans.
Le 14 octobre de la même année, le roi Charles VII parade dans les rues de Bordeaux, sous les acclamations inquiètes des habitants, qui ont quand même soutenu la cause anglaise.
Les premières décisions ne tardent d’ailleurs pas à être prises : Bordeaux perd ses privilèges, des dizaines de seigneurs de la province sont condamnés à l’exil et le roi déploie des garnisons dans toute la Guyenne, au cas z’où les Anglais émettraient le souhait d’un come-back.
La traite négrière au XVIIIe siècle
Dès l’époque gauloise, Bordeaux a su tirer parti de sa situation géographique privilégiée et parfois même de ses envahisseurs pour s’imposer comme une ville commerciale de renom.
Au XVIIIe siècle, la ville profite d’une vraie prospérité, notamment grâce à l’activité de son port, passerelle privilégiée vers l’Espagne et les colonies. La production vinicole annuelle avoisine les 200 000 tonneaux, dont plus de la moitié est exportée en Angleterre.
La capitale de la Guyenne va considérablement augmenter ses activités de négoce autour de la traite des esclaves africains. Le « trafic triangulaire » est somme toute assez simple. Les armateurs bordelais envoient des navires sur la côte ouest-africaine (principalement en Guinée et au Sénégal), chargés de denrées et de bibelots, qu’ils échangent contre le « bois d’ébène », les esclaves. Ces derniers, entassés comme des animaux pendant la traversée de l’Atlantique, sont vendus à prix d’or dès leur arrivée aux Antilles (Cuba et Saint-Domingue), à la recherche d’une main d’œuvre importante pour répondre aux attentes des grandes villes européennes. Les voiliers reviennent ensuite à Bordeaux, les cales débordant de sucre, de bois précieux, de cuir ou encore de café.
Très rapidement, Bordeaux devient la deuxième ville négrière du royaume de France, derrière Nantes et à niveau égal avec La Rochelle, suscitant l’admiration d’Étienne François de Choiseul, ministre, qui écrit en 1768 : « Le Roi étant informé que les négociants du port de Bordeaux se livrent avec beaucoup de zèle au commerce de la Traite des Nègres, qu’il résulte des états qui lui ont été présentés que, depuis le 30 avril 1767 jusqu’au 30 octobre de la même année, ils ont armé sept navires pour la côte de Guinée, qu’ils en ont actuellement six autres en armement pour le même objet ; et que si la traite était favorable, ils pourraient introduire 5 190 nègres aux colonies […] ils jouiront de l’exemption du droit de livres par tête. »
De fait, de nouvelles fortunes, souvent rapides, se font jour à Bordeaux. Les prises de position de Montesquieu contre l’esclavagisme ne pèsent pas lourd face aux puissants acteurs du négoce bordelais. Ces derniers défendent leurs intérêts jusqu’à Paris en 1789.
Le mouvement abolitionniste est néanmoins amorcé, grâce à des personnalités comme André-Daniel Laffon de Ladebat. Ce dernier, commissaire député de la Guyenne, prononce son discours à l’Assemblée, le 13 août 1789, sur « la nécessité et les moyens de détruire l’esclavage dans les colonies ».
L’esclavage est définitivement interdit en 1817, après la déportation de 150 000 hommes, femmes et enfants organisée par les négriers bordelais. Certains d’entre eux poursuivront leur activité clandestinement pendant quelques années.
La naissance des Girondins (pas l’équipe de foot)
La création du département de la Gironde intervient en 1790, au détriment de la province de la Guyenne. Des tensions apparaissent localement, certains souhaitant une séparation du Bazadais et du Bordelais, d’autres espérant la formation d’un nouveau département entre la Gironde et les Landes.
Les principaux acteurs de la Révolution à Bordeaux, tels Roland, Brissot, Vergniaud, Guadet, Gensonné, acquièrent une solide réputation, qui dépasse rapidement le périmètre de la cité gasconne, notamment grâce à leur éloquence et leur idéalisme politique. Issus de la bourgeoise, occupant des fonctions d’avocat, de professeur ou de journaliste, on les surnomme les Brissotins ou les Rolandins. C’est à Lamartine que l’on doit le terme de Girondins, au XIXe siècle.
Ils constituent le groupe parlementaire majoritaire à l’Assemblée législative en 1791. Adaptes de la pensée voltairienne, épris de liberté politique, ennemis jurés des partisans de la monarchie constitutionnelle, les Girondins défendent avant tout les valeurs de la bourgeoisie, sans vouloir se soucier des démarches initiées en faveur des couches de la population les plus défavorisées. Ils ne partagent aucunement les revendications et les attentes du peuple révolutionnaire.
Membres du club des Jacobins, ils siègent à gauche de l’Assemblée, où ils développent leurs arguments contre les immigrés (discours du 31 octobre et du 9 novembre 1791) puis contre les prêtres réfractaires (discours du 29 novembre).
En mars 1792, le roi Louis XVI appelle plusieurs d’entre eux à occuper différents ministères. Ils contribuent à faire adopter la déclaration de guerre contre l’Autriche un mois plus tard, soulageant ainsi leur soif de combat à l’encontre des dynasties européennes.
Majoritaires à l’Assemblée, occupant les ministères clés, les Girondins alimentent la colère des Montagnards, parmi lesquels Danton, Robespierre et Marat. À leurs yeux, les velléités guerrières sont susceptibles de fragiliser le mouvement révolutionnaire français.
Les revers militaires, le véto du roi à deux décrets révolutionnaires, le départ un peu précipité des trois ministres, les difficultés économiques et l’aveuglement dont ils font preuve face aux attentes populaires poussent les Girondins, fragilisés, à adopter une ligne politique plus ferme.
Lors de la mise en place de la Convention nationale, qui succède à l’Assemblée législative le 21 septembre 1792, ils siègent à droite, face aux Montagnards, avec lesquels, néanmoins, ils abolissent la royauté et proclament l’instauration de la première République. Les tensions entre les deux groupes se font vives.
L’insurrection populaire du 10 août 1792 est un désaveu cinglant pour les Girondins. Ils se retirent du club des Jacobins et ne peuvent s’opposer à la création du Tribunal révolutionnaire et du Comité du Salut public entre mars et avril 1793.
Les Montagnards préparent le coup de grâce et encouragent les sans-culottes « à se mettre en insurrection contre les députés corrompus ». Le 2 juin, les Girondins sont chassés de la Convention. Certains tentent d’initier une révolte fédéraliste contre les Montagnards, rapidement réprimée. Le cri de Vergniaud : « Hommes de la Gironde, levez-vous ! » poussé le 5 mai n’est pas entendu.
Le Tribunal révolutionnaire juge et condamne à mort vingt-et-un députés, guillotinés le 31 octobre. D’autres exécutions suivront tout au long de la Terreur, jusque sur la place Gambetta de Bordeaux, qui vit tomber la tête du député Elie Guadet en 1794.
En mémoire à ses héros, la ville fait ériger, un siècle plus tard, l’impressionnant Monument aux Girondins, colonne toujours fièrement dressée sur la place des Quinconces.