Éléments d’histoire du Lot-et-Garonne

C'est dans le Lot-et-Garonne que l'on trouve l'une des rares tribus gauloises, les Sotiates, à avoir eu le courage de combattre frontalement les redoutables armées de César. Astérix ne serait-il pas un peu Aquitain ?

Vue du château de Bonaguil - Crédit photo: FranceSudOuest

Vue depuis le château de Bonaguil – Crédit photo: FranceSudOuest

Un passé très ancien

La présence de l’homme est avérée depuis fort longtemps en terres lot-et-garonnaises. Les fouilles archéologiques menées à l’est du département, dans les vallées de la Lémance et de la Lède, ont révélé des restes humains et des fragments d’outils datant du Paléolithique, notamment à la grotte de Monsempron.

L’abri du Martinet, à Sauveterre-la-Lémance, découvert en 1922 par Laurent Coulonges, renferme un habitat du Magdalénien final, au sein duquel une centaine de pointes de silex, des outils en os, des poinçons et des lissoirs ont été retrouvés.

L’Agenais s’impose à l’âge du Bronze (-7000 à -500) comme une terre d’échanges des savoirs techniques entre peuplades continentales et atlantiques.

Bien des siècles plus tard, ce sont les tribus gauloises qui occupent le territoire, parmi lesquelles les Nitiobroges, d’origine celte, installés dans la région d’Aginnum (Agen). Leur existence est prospère.

Drachme « à la tête bouclée du Causé » frappé par les Sotiates – Crédit photo: cgb — https://www.cgb.fr/sotiates-region-de-sos-drachme-a-la-tete-bouclee-du-cause,v25_0586,a.html, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=30529666

Au sud de la confluence du Lot et de la Garonne, les Sotiates, protobasques, sont parfaitement bien organisés. Ils ont bâti leur site fortifié à l’emplacement de l’actuelle commune de Sos, battent leur monnaie et sont considérés comme de redoutables guerriers.

Quelques vestiges de la période celtique sont encore visibles, notamment des dolmens et des peulvens non loin de Tournon et d’Agen ou encore les ruines d’un temple druidique dans la région de Nérac.

Lors de l’invasion romaine, menée en 56 av. J.-C. par le général Publius Crassus, les Sotiates sont l’une des rares tribus d’Aquitaine à opposer une vive résistance à l’ennemi. Malgré leur courage, ils ne parviennent pas à remporter la bataille contre les légions romaines, qui ont reçu l’aide des Nitiobroges, et doivent battre en retraite dans leur oppidum. Ils font preuve une nouvelle fois d’héroïsme en organisant une résistance désespérée. Leur bravoure est d’ailleurs mentionnée dans la Guerre des Gaules de Jules César himself.

Peut-être pris de remords pour leur collaboration un peu hâtive avec les Romains, les Nitiobroges décident de soutenir Vercingétorix et envoient leur cavalerie combattre à Gergovie.

Comme partout en Aquitaine, la Pax Romana s’accompagne de transformations importantes et d’une meilleure organisation. Des voies sont construites le long de la Garonne, d’autres permettent de relier Agen à l’Atlantique et à la Méditerranée ou encore de placer Astaffort sur la route qui part des Pyrénées jusqu’à Périgueux.

Le commerce se développe, tout comme les cités. Certains historiens considèrent qu’Agen était la deuxième ville d’Aquitaine, riche d’un théâtre, d’un amphithéâtre et de superbes villas. Le Mas d’Agenais profite de son statut d’étape fluviale et devient une cité prospère, réputée pour son marché.

Les rives de la Garonne, du Lot et de la Baïse accueillent des demeures prestigieuses, à l’image de la villa Bapteste à Moncrabeau, composée d’une quarantaine de pièces, de deux cours intérieures (dont l’atrium), d’une écurie et même d’un oratoire. On trouve un bâtiment tout aussi remarquable à Castelculier, dont la superficie dépasse le millier de mètres carrés. De quoi rendre le séjour de belle-maman plus supportable. C’est aussi ça, la Pax Romana.

La fertilité du sol justifie la construction de vastes exploitations agricoles et contribue grandement à la prospérité du territoire.

Enfin, si les voies romaines ont facilité le transport des hommes et des marchandises, elles ont aussi permis de diffuser les fondements du christianisme, qui se développe dans les campagnes jusqu’au VIIe siècle. Un siège épiscopal s’établit à Agen dès le IVe siècle, placé sous la tutelle de l’évêque Phébade, ce dernier menant combat contre le pouvoir politique romain et surtout contre l’arianisme (thèse émise par le théologien alexandrin Arius, supposant que le fils de Dieu est avant tout humain, même s’il dispose d’une part de divinité).

À l’instar des autres départements de l’Aquitaine, les invasions barbares vont quelque peu bousculer la vie tranquille du Lot-et-Garonne. Les Barbares sont les premiers à venir détruire et brûler les belles villas, mais comme ils sont sympas, ils en laissent quelques-unes à leurs successeurs, que sont les Vandales, les Suèves ou encore les Wisigoths. Ces derniers s’installent durablement dans le Sud-Ouest, jusqu’à ce que Clovis ne les en chasse définitivement en 507.

L’histoire est parfois un peu confuse

Après quelques siècles de troubles, de rattachements au royaume de Neustrie ou à celui de Bourgogne, de mainmise des Carolingiens ou d’invasion sarrasine (732), l’Agenais profite de la reconstitution de l’Aquitaine par Charlemagne après la bataille de Roncevaux pour s’établir comme un comté indépendant à part entière, placé sous la gouvernance d’Ermiladius. Les Normands empruntent les voies navigables du territoire et sèment mort et destruction, peut-être soutenus par le roi Pépin, ce dernier n’acceptant pas que le comté ne soit pas soumis à l’Aquitaine.

Du XIIe au XIVe siècle, il faut être solidement accroché à l’actualité locale pour savoir à qui appartient le comté, rattaché au gré des guerres de conquête aux comtes de Toulouse, à la couronne de France ou aux rois d’Angleterre.

En 1317, les intrigues papales et la perte de pouvoir des notables locaux provoquent une césure entre le diocèse d’Agen et l’abbaye de Condom, érigé en évêché, entretenant une vraie confusion administrative et judiciaire.

Quelques années plus tard, en 1323 précisément, l’incident de Saint-Sardos va constituer le point culminant des tensions entre Anglais et Français et allumer la mèche de la guerre de Cent Ans. Depuis le règne de Philippe le Bel, roi de France, les ducs d’Aquitaine sont considérés comme des vassaux, et surtout pas comme les représentants de la couronne anglaise. Cette nouvelle influence française est très, très mal perçue par les Plantagenêt, qui estiment que la Gasconne est leur terre pleine et entière.

C’est donc avec un certain énervement qu’ils apprennent la volonté de construire une nouvelle bastide, à proximité de Montpezat. Le 13 octobre 1323, un envoyé de Charles IV érige un mât portant la cotte d’armes du roi de France. Quand même très remonté, le seigneur de Montpezat détruit le chantier et donne l’ordre de pendre le pauvre messager au mât.

En réponse, le roi de France confisque le fief et envoie son oncle Charles de Valois occuper le pays. Les territoires sont conquis assez facilement, les garnisons anglaises n’offrant qu’une faible résistance. Après avoir confisqué l’Agenais, Charles IV décide néanmoins de laisser aux Anglais une grande partie de leur possession. Il n’en demeure pas moins que l’épisode de Saint-Sardos a contribué à nourrir la future de guerre de Cent Ans, qui allait éclater quelques années plus tard, en 1337, poussant les Anglais à quitter définitivement les contrées du royaume de France, au terme de la bataille de Castillon en 1453.

L’Agenais rejoint la couronne de France en 1472, à la mort de Charles de Valois, frère de Louis XI et duc de Guyenne.

Nérac entre dans l’Histoire de France

Château de Nérac – Crédit photo: Thomas Conté – Flickr

Le pays retrouve enfin la quiétude et une certaine prospérité. De nouveaux habitants, originaires du Saintongeais, du Poitou, mais aussi et surtout d’Italie, viennent s’y installer. Les Italiens, en partie composés de prélats posent leurs bagages au siège épiscopal et promeuvent les nobles valeurs de la Renaissance, particulièrement bien accueillies à Nérac, cité où Marguerite de Navarre, sœur de François Ier et mère de Jeanne d’Albret, a installé une cour et encouragé l’expression culturelle.

Le château de Nérac accueille, parmi les nombreuses personnalités sensibles aux arts, aux lettres et à la religion, des humanistes acquis aux idées de la Réforme, à l’image de Clément Marot, Jean Calvin et Théodore de Bèze.

Doucement mais sûrement, le protestantisme, encouragé par le château de Nérac, se diffuse parmi la population, notamment auprès des professeurs et des milieux judiciaires. En 1525, les premières condamnations au bûcher sont décidées à Agen, mais cette vague de répressions ne met pas un terme au développement de la Réforme. En 1561, après que les protestants se soient organisés et pris les armes, la guerre civile éclate. De nombreux massacres sont commis de toutes parts, des remparts détruits, des maisons brûlées.

Jeanne d’Albret, fervente partisane de la Réforme, n’aide pas à apaiser la tension, soutenue par son fils, Henri de Navarre, pourtant né et baptisé catholique mais sensibilisé dès son plus tendre âge à la doctrine calviniste.

Dans un souci de retrouver une certaine sérénité, la reine mère, Catherine de Médicis, organise le mariage de sa fille Marguerite de Valois, catholique, et d’Henri de Navarre le 18 août 1572. Entre les deux tourtereaux, il ne semble pas que ce soit l’esprit Meetic – #I love your imperfections- qui prédomine.

Cela tombe plutôt bien en fait, car l’actualité s’emballe. Quelques jours après le mariage, le 24 août, survient la terrible nuit de la Saint-Barthélemy, au cours de laquelle plus de 3 000 protestants sont massacrés à Paris. Cet évènement tragique suscite la rupture entre la cour et les Albret. Henri est contraint de se convertir au catholicisme et il est assigné à résidence à la cour de France. Le 5 février 1576, il parvient à s’enfuir et à gagner l’Agenais puis le château de Nérac.

Sa belle-maman (qui est quand même la reine mère) et sa femme le rejoignent en octobre 1578. Le voyage n’est pas seulement sentimental. Catherine de Médicis souhaite rencontrer les chefs protestants et trouver un compromis, signé l’année suivante à Bergerac. Ainsi, les protestants obtiennent onze places de sûreté au terme de ce que l’on appelle les conférences de Nérac.

Pour Henri, malgré ses déchirements entre valeurs protestantes et impératifs catholiques, la vie à Nérac est plutôt agréable. Chasse, jeux, sorties, soirées en boîte (à l’époque, on parlait de bal) dictent ses journées. Le futur roi a pris l’habitude de papillonner de-ci de-là, additionnant les conquêtes et les déclarations d’amour éternelles en fin de soirée alcoolisée. Il ne pense même pas mettre un terme à ses légères aventures malgré la présence de son épouse à ses côtés. Cette dernière prend la mouche et réserve une place TGV (Transport Garanti aux Valois) en direction de Paris.

En 1589, Henri devient roi de France, reconnu par son cousin et beau-frère Henri III, sur son lit de mort. Après quelques années d’apprentissage du pouvoir, de batailles gagnées et d’une réelle volonté d’apaiser les tensions entre protestants et catholiques qui fragilisent le royaume, il promulgue l’Édit de Nantes, rédigé à Nérac, en 1597. L’Agenais, mais aussi d’autres terres du royaume, renoue avec des périodes plus apaisées, hélas de courte durée puisque les agitations reprennent dès 1621, sous le règne de Louis XIII.

La révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV en 1685 pousse près de 10 000 protestants à fuir le territoire de l’Agenais et à s’installer en Hollande, terre d’accueil. Ces départs massifs vont contribuer à appauvrir différentes cités, comme Nérac, Tonneins et Clairac, où les protestants occupaient des postes clés de l’économie locale.

Le promeneur peut parfois apercevoir aux abords de son chemin des cyprès isolés. Ces arbres ont été plantés pendant la répression à proximité des tombes des protestants, les cimetières catholiques leur étant interdits. Les cyprès n’avaient pas vocation à rendre hommage aux défunts, mais à indiquer au paysan la présence d’une tombe afin d’éviter que la charrue ne détruise l’endroit.

Prospérité et Révolutions

Après ces siècles d’invasions, d’occupation, de guerres, de destructions et de mort, le territoire entame le XVIIIe siècle sous de meilleurs auspices (hospices, serait-on tenté d’écrire).

Le canal des Deux-Mers, ouvert en 1681, vient enrichir et compléter les cours d’eau du futur département, voies de communication fondamentales pour acheminer vers l’Atlantique et la Méditerranée les denrées agricoles, diverses et nombreuses en ces terres fertiles.

De grandes manufactures, essentiellement dédiées au textile, font leur apparition. Certaines fabriquent les voiles destinées aux navires du port de Bordeaux, qui assurent une activité commerciale importante pour l’ensemble du royaume de France.

En 1790, alors que la Révolution chamboule quelque peu l’organisation du pays, le département du Lot-et-Garonne voit le jour, dont les contours sont finalement assez proches de l’Agenais. Quelques coups de rabot interviendront néanmoins en 1808, lors de la création du Tarn-et-Garonne, qui récupère les cantons de Montaigu, Valence d’Agen et Auvillar.

Le département échappe à l’essor économique né de la révolution industrielle, comme bon nombre de territoires méridionaux, en raison notamment de l’absence de ressources naturelles (fer, charbon…) nécessaires au fonctionnement des premières usines. L’industrie du textile entame son déclin et seules les productions agricoles semblent résister au nouvel ordre économique, ce qui n’empêchera pas un exode rural à la seconde moitié du XIXe, après l’arrivée du blé américain sur le territoire, terrible concurrence, et surtout l’apparition de la crise du phylloxéra.