Quand une exploitation agricole se transforme en réserve naturelle régionale
Malgré l’intensification de l’agriculture, la ferme du Moulin de la Ville lutte pour protéger et préserver un milieu naturel à la riche biodiversité.
Une certaine vocation écologique
C’est à toute proximité de la bourgade de Tombebœuf que se trouve la ferme du Moulin de la Ville.
Pendant fort longtemps, les propriétaires, la famille Piveteau, se sont livrés à la polyculture, assez massive en Lot-et-Garonne.
Pourtant, la dernière génération a décidé de revoir son modèle, excédée par l’agriculture intensive et l’utilisation des produits phytosanitaires.
« Mes parents étaient des écolos sans le savoir. Pendant leur activité, ils ont observé les oiseaux, les insectes et les fleurs présents sur leurs terres et n’ont pas voulu que tout cela disparaisse. Ils n’ont pas souhaité vendre à d’autres agriculteurs pour faire du tournesol ou du blé » précise Lydie Piveteau, la propriétaire, à Céline Belliard de Rue 89 Bordeaux (09/11/2020).
Dès les années 90, la famille a eu à cœur de valoriser ses terres, en traçant un circuit de promenade au sein de la forêt alluviale et en maintenant les espaces semi-naturels dans un bon état de conservation.
De fait, les 12 hectares de l’exploitation, dont une partie a été reconvertie en prairie de fauche depuis une vingtaine d’années, constituent un domaine préservé au cœur d’un territoire tout entier dédié à l’activité agricole.
Le paradis de la biodiversité
Depuis le retour à la vie « sauvage », le domaine du Moulin de la Ville s’est transformé en véritable îlot de quiétude. Les milieux naturels se sont développés, à l’instar des prairies humides ou permanentes, de la lande à fruticée, des ruisseaux, de la chênaie mésophile, des forêts alluviales ou encore des pelouses à orchidées.
La flore laisse découvrir des espèces protégées, comme la jacinthe romaine, la tulipe sylvestre et l’orchis à fleurs lâches.
Ce retour en force du monde végétal contribue à celui de la faune, qui se révèle riche et variée. Au total, plus de 300 espèces ont été recensées, dont 95 sont protégées au niveau national. Les différentes études ont ainsi permis de recenser de nombreux oiseaux, qu’ils soient nicheurs ou pas, parmi lesquels la chouette hulotte, le busard Saint-Martin, le milan royal et le héron pourpré.
Parmi les mammifères, le site abrite des renards roux, des blaireaux, des lapins de garenne, des putois d’Europe et même des loutres. L’endroit présente un écosystème favorable à l’accueil des musaraignes et des chauves-souris, qui se seraient déjà installées, selon les premières études.
Les amphibiens trouvent sur place toutes les conditions propices à leur développement. Les différents inventaires ont ainsi permis d’identifier la présence de tritons marbrés et de pélodytes ponctués.
Enfin, cinq espèces de reptiles ont été observées, dont le lézard vert ou la couleuvre à collier. Le site offre en effet de nombreux milieux favorables aux serpents (haies, zones humides, prairies…), laissant d’ailleurs supposer la présence de la couleuvre d’Esculape, inconnue en Lot-et-Garonne.
En route pour le classement !
L’implication des propriétaires a permis, au cours des dernières années, de préserver le site, riche d’une grande biodiversité que nourrit la mosaïque d’habitats naturels. Leurs efforts ont déjà permis d’obtenir le label départemental « Espace Naturel Sensible » depuis 2011.
Surtout, la famille Piveteau a su se tourner vers l’association ARPE 47 (CPIE Pays de Serres-Vallée du Lot) pour l’aider à pousser plus loin son ambition et prétendre au classement en Réserve Naturelle Régionale (RNR), un précieux sésame qui permettrait de faire face aux pressions agricoles environnantes.
Depuis déjà quelques années, l’association procède à un référencement méticuleux des nombreuses espèces qui composent le territoire. Le souhait est de constituer un dossier solide en vue du futur classement. Une première sollicitation du Conseil Régional a d’ailleurs été initiée dès 2014 afin de mieux cerner les modalités administratives nécessaires à l’obtention du statut de RNR.
Les démarches juridiques n’empêchent bien sûr pas d’ouvrir le site aux visiteurs, à travers des sorties thématiques. Le public peut ainsi observer les amphibiens, mammifères et oiseaux, découvrir le verger riche de nombreuses variétés anciennes ou plus simplement s’imprégner de la beauté des lieux.
Il est également prévu d’y organiser des échanges sur l’agroécologie en partenariat avec des professionnels de l’agriculture (INRA, Agrobio47, Conservatoire Végétal d’Aquitaine de Montesquieu).
Enfin, le CPIE poursuit son action en assurant notamment le suivi des populations d’orchis bouffons et de tulipes sylvestres et en organisant différents ateliers participatifs, à l’instar des pêches de l’écrevisse de Louisiane, espèce invasive.
La politique de préservation du site passe aussi par la mise en place d’évènements (projection de films, randonnées …) destinés au public afin de le sensibiliser à la valeur patrimoniale de ce petit bout de paradis.