Les trois visages de la maison basque : Labourdine, Bas-Navarraise et Souletine
Indissociable de la culture basque, l’etxe (maison) s’impose depuis des siècles comme le fondement de la famille et de la vie sociale. Chaque province revendique son style d’architecture.
Olivier Sorondo
3 mai 2025 – MAJ le 3 mai 2025
Temps de lecture : 7 mn
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Le pilier de la famille
Quiconque pense au Pays basque visualise presque immédiatement les magnifiques maisons blanches, agrémentées de colombages en bois peints, de couleur rouge ou verte. Ces maisons, souvent imposantes, contribuent à l’identité régionale, sans nul doute au succès touristique, mais illustrent surtout la dimension politique et religieuse qui façonne la société basque depuis toujours.
Plus qu’un simple lieu d’habitation, l’etxe permet avant tout de regrouper la famille sur plusieurs générations et d’en assurer la pérennité. Maison et famille sont indissociablement liés. Comme l’explique le prêtre anthropologue José-Miguel de Barandiarán (1889-1991), « la famille est la société de ceux qui ont le même sang et sont unis à la même maison. Elle est constituée par les parents, les enfants et les ancêtres. Ils ont la même maison pour refuge, lieu de travail et de réunion, chapelle et tombe. Cette maison, ainsi que les terres et les biens qui lui sont attachés, maintiennent fortement unis, jusqu’à nos jours, à la maison, ceux de la maison. »

Selon les lois en Ipparalde (provinces basques françaises), la maison revient à l’aîné, qui en devient le maître. La propriété, intimement liée à la terre, s’impose comme argument social et politique. A titre d’exemple, seuls les chefs de famille propriétaires d’une maison (et le plus souvent d’une ferme) assistent aux assemblées du village. Pas de maison, pas de statut respectable.
Des fermes aux maisons de ville
C’est essentiellement dans les campagnes basques que la maison revêt sa force symbolique. D’abord construites en bois, les fermes adoptent la pierre à partir du 16e siècle et affichent le style architectural que nous lui connaissons aujourd’hui. « Sous le toit à deux battants apparaissent des balcons, au niveau du grenier, pour faire sécher le maïs. La façade de la maison est tournée vers l’est, tandis que les autres murs sont presque aveugles, pour protéger des vents dominants venus de l’océan. Ces fermes sont également dotées d’une porte charretière, par laquelle passent les hommes mais aussi les animaux. Le rez-de-chaussée est réservé au bétail et à la cuisine, tandis que les chambres sont situées à l’étage » précise l’architecte Michel Berger sur le site Maison à Part.
Le style est progressivement repris par les maisons de ville, qui reçoivent quelques adaptations, comme la pose d’un plus grand nombre de fenêtres. Certaines sont conçues pour accueillir des commerces au rez-de-chaussée. Malgré l’environnement urbain, elles conservent généralement de grandes surfaces d’habitation et se destinent d’abord aux notables, avant de se généraliser parmi la population.
Dans les trois provinces basques du Nord, situées en France, l’architecture diffère légèrement, en fonction de l’environnement et des ressources naturelles disponibles.
Maison labourdine, la star !
Impossible de la dissocier de l’image du Pays basque. Grande, massive, dotée d’une structure en bois, équipée d’un toit singulier, elle fait la fierté de la province du Labourd. Les murs sont majoritairement en pierre, blanchis à la chaux, avec des pans de bois apparents (colombages) peints traditionnellement en rouge ou en vert, couleurs obtenues avec des pigments locaux. Le rouge, très fréquent, provenait à l’origine du sang de bœuf utilisé pour protéger le bois contre les insectes.

La façade principale fait l’objet de soins décoratifs : linteaux sculptés (parfois gravés du nom du propriétaire et de la date), balcons en bois, fenêtres croisées, pierres d’angle, inscriptions. La toiture est à deux versants en pente douce, couverte de tuiles creuses rouges. La faible pente limite la prise au vent, particulièrement adaptée au climat océanique du Labourd. Le faîtage est parallèle à la façade principale, avec un débord important à l’est et peu ou pas à l’ouest.
L’aspect souvent dissymétrique de la maison labourdine contribue aussi à son charme. En fait, il s’agit, dans la plupart des cas, d’agrandissements successifs et non du plan initial.
Maison navarraise, sous influence
Il s’agit d’abord de l’influence historique de la province espagnole de Navarre, à laquelle la Basse-Navarre fut rattachée jusqu’en 1530. C’est ensuite et surtout l’influence de la géologie des sols, riches en argile, qui permet la fabrication de briques dès le 18e siècle. Ces briques plates viennent s’ajouter aux pierres.

On utilise aussi la chaux pour mettre en valeur la pierre calcaire locale, notamment dans les encadrements de fenêtres et les chaînes d’angle. La façade principale est plate, sans encorbellement ni porche, contrairement à la maison labourdine. Les fenêtres sont petites, à petits carreaux, et symétriquement réparties. Le colombage, quand il existe, se limite à l’étage supérieur ou à certaines parties de la façade, mais il est moins répandu et moins décoratif qu’en Labourd.
Le toit à deux versants est couvert de tuiles rousses, avec un faîtage parallèle à la façade principale.
Enfin, l’intérieur, agencé de façon fonctionnelle, se compose d’une succession de pièces rectangulaires de petite longueur.
Peut-être moins emblématiques que leurs sœurs labourdines, les maisons de Basse-Navarre s’entourent d’un charme certain, donnant cette impression de force tranquille.
Maison souletine, adaptée au climat montagnard
En province de Soule, l’océan Atlantique apparaît un peu lointain. La réalité, ici, c’est la chaîne des Pyrénées et les maisons se sont adaptées au contexte montagnard. Si certaines similitudes architecturales peuvent apparaître entre maisons labourdines et navarraises, le style des maisons souletines se rapproche de celui des maisons béarnaises.

La maison n’est généralement pas un bloc unique massif comme dans les provinces basques voisines, mais adopte souvent des formes en L, en T, ou se compose de plusieurs bâtiments indépendants autour d’une cour. Cette organisation permet une imbrication des fonctions d’habitation et d’exploitation agricole, chaque volume étant adapté aux besoins et au relief local.
La toiture adopte une forme pointue et à forte pente, recouverte de tuiles plates ou d’ardoises, souvent terminée par un coyau (adoucissement de la pente en bas de toit) pour mieux évacuer la neige et l’eau. Les épis de faîtage en zinc sont fréquents et parfois très ouvragés.
La façade principale, à deux niveaux et généralement à trois travées symétriques autour de la porte, reçoit une décoration sobre. Les ouvertures sont de deux types : une porte piétonne pour le logis et une ou plusieurs portes charretières pour les usages agricoles. Au-dessus de la porte principale, une pierre gravée (cartouche) porte souvent le nom du constructeur ou du propriétaire et la date des travaux.
Les menuiseries sont peintes dans des couleurs variées : gris bleu, vert, brun, rouge, avec une prédominance ancienne du vert et du bleu, le rouge étant plus récent.