Le Floc de Gascogne, l’esprit du Sud-Ouest
Malgré son indéniable qualité gustative et toute la rigueur qui accompagne sa fabrication, le Floc de Gascogne souffre encore de sa trop timide notoriété. Et c’est bien dommage.
Un bouquet de saveurs
En matière d’apéritif, si le Pays basque revendique haut et fort le Patxaran, la Gascogne peut dégainer son célèbre Floc.
Conçue à partir d’une recette datant du 16e siècle, la douce boisson se limite, pendant trois siècles, à une consommation familiale et personnelle chez les paysans gascons.
Le Floc doit son nom à un vigneron gersois, poète dans l’âme. Ce dernier, sensible au parfum du noble breuvage, qui évoque la violette, la rose et la prune, choisit en 1954 de l’appeler « lou flòc de nouste ». Ces quelques mots occitans signifient littéralement « le bouquet de fleurs de chez nous ».
Il faut attendre l’année 1976 pour que les producteurs s’organisent à travers la création de leur syndicat et baptisent le produit Floc de Gascogne, plus commercial. C’est d’ailleurs cette année-là que le Floc part officiellement à la conquête de ses clients.
Mais qu’est-ce que le Floc au juste ? Il s’agit d’un vin de liqueur, de 16 à 18°, né de l’assemblage de deux tiers de jus de raisin et d’un tiers de jeune armagnac. Détail qui a son importance : les raisins et l’alcool doivent provenir de la même propriété.
Disponible en rouge (on peut dire rosé) ou blanc, il se sert bien frais à l’apéritif. On peut aussi le déguster en accompagnement de foie gras, de melons, de fromages virils ou de fruits délicats, comme la fraise. C’est enfin l’ingrédient précieux de nombreux cocktails.
Preuve de sa qualité et de la rigueur qui entoure sa conception, le Floc de Gascogne a reçu l’AOC en 1990 et l’AOP en 2009.
Un territoire limité, mais de multiples cépages
Le vignoble dédié au Floc reste d’une superficie somme toute modeste, puisqu’il ne dépasse pas les 900 hectares. Les vignes se répartissent entre le Gers (80%), les Landes et le Lot-et-Garonne. Ce territoire se compose du Bas Armagnac, de l’Armagnac Ténazère et du Haut Armagnac.
La région de production, qui jouit de l’Appellation Armagnac, profite d’un sol argilocalcaire et sableux ainsi que de coteaux à pentes douces. Il convient également de retenir l’influence du climat, aux influences océanique, continentale et méditerranéenne, propices à la maturation du raisin. Le Floc gagne ainsi en force aromatique et développe une touche fruitée qui contribue à sa réputation.
L’apéritif gascon tire sa richesse gustative de la diversité des cépages entrant dans sa composition. Ainsi, le Floc blanc est élaboré à partir de l’ugni blanc, synonyme de fraîcheur et de concentration des arômes ; du colombard, cépage emblématique de la Gascogne, aux saveurs de pamplemousse et de citron et enfin du gros manseng, plus rond à travers ses arômes de fleurs épicées et de fruits confits.
D’autres cépages blancs peuvent intervenir dans la réalisation du Floc, à l’instar de la folle blanche, du sauvignon, du sémillon ou du mauzac.
Le Floc rosé ne reçoit pour sa part que des cépages noirs. Le cabernet franc apporte des arômes de framboise, de cassis et de violette. Le cabernet sauvignon, utilisé pour concevoir les grands vins du Médoc, développe une vraie puissance tannique et diffuse des saveurs de fruits rouges, d’épices et même de poivron. Le merlot, peut-être la star des cépages, est réputé pour sa rondeur, due à son taux de sucre plus élevé. Il dégage des arômes de prune, de réglisse et de cerise noire. Enfin, le tannat, d’origine béarnaise, se distingue par sa vigueur et sa nervosité.
Les secrets de la fabrication du Floc
Au mois d’août, point de vacances pour le viticulteur gascon, même si les plages océanes ne sont jamais très loin. C’est la période idéale pour contrôler la maturité du raisin, qui doit être aromatique, sans pour autant développer trop d’acidité ni être trop sucré.
À l’automne, sitôt les vendanges terminées, les fruits rejoignent le chai, où le pressage est effectué sans délai afin d’éviter tout risque d’oxydation, néfaste aux arômes. Si le Floc blanc dépend d’un jus de raisin obtenu par une légère pressé, le Floc rosé résulte d’une opération d’éraflage, qui consiste à séparer le raisin de la rafle, c’est-à-dire la structure herbacée de la grappe. Le souhait est d’éviter les saveurs herbacées et d’atténuer le potassium de la rafle, coupable de réduire l’acidité.
L’éraflage précède le foulage, dont le but est de faire éclater les baies de raisin pour en extraire le moût. Avant la mécanisation, on foulait les raisins au pied !
Les étapes suivantes de l’élaboration s’entendent pour les deux Flocs. Il s’agit d’abord de procéder au mutage, consistant à placer le moût de raisin au fond de la cuve à l’abri de l’air et à y ajouter délicatement l’armagnac distillé l’année précédente.
Issu de la même propriété, l’armagnac constitue un tiers du mélange. Son ajout interrompt le processus de fermentation du raisin et préserve sa fraîcheur.
Afin de marier moût et armagnac, le brassage se poursuit encore quelques jours.
La période de repos intervient ensuite, jusqu’au début du printemps. Le Floc est conservé dans un chai, afin qu’il puisse développer tous ses futurs arômes.
Les dernières opérations peuvent alors être effectuées : soutirage, collage, filtration et stabilisation.
En mars, les producteurs conditionnent enfin leur précieux breuvage, uniquement en bouteilles, comme l’impose l’AOC.
La toute dernière étape est celle de l’agrément. Les producteurs ont en effet mis en place une commission en 1990 afin de tester et de juger le Floc avant sa commercialisation. Le souhait est de proposer aux clients un produit de qualité.
Enfin le moment de la dégustation
Profiter pleinement du Floc de Gascogne suppose de suivre quelques petites règles.
D’abord, on évite de le ranger dans sa cave en considérant que son vieillissement lui apportera davantage de saveur. Le Floc se consomme jeune, lorsque les arômes frais du raisin s’expriment en toute franchise.
Ensuite, on ne le sert pas à température ambiante. Selon les producteurs, un bon Floc se déguste entre 5 et 7°C. C’est de cette manière que sa finesse aromatique caresse le palais et suscite le plaisir. Après ouverture, il se conserve quelques semaines au réfrigérateur.
Les puristes ou les amoureux de la Gascogne ne manqueront pas de procéder à un examen visuel. Le Floc blanc laisse voir différentes gammes de jaune, selon les cépages entrant dans sa composition. Pour le Floc rosé, la teinte apparaît violacée, parfois brune, en fonction là aussi des cépages et de la période de macération.
Avant la dégustation, l’examen olfactif apporte quelques indices précieux et agréables. Au tout début de sa maturation, c’est surtout l’armagnac qui impose ses arômes. Progressivement, les saveurs se complexifient pour donner lieu, s’agissant du Floc rouge, à un petit univers de fruits rouges, comme la fraise, le cassis et la mûre. Le Floc blanc laisse planer pour sa part des arômes de violette, de poire, de coing et même de miel.
Il est enfin temps de déguster le breuvage gascon. À la différence des vins liquoreux, le Floc profite d’un très bon équilibre en sucre et d’une faible acidité. Généreux et subtil en bouche, il apporte une vraie fraîcheur et suscite un plaisir immédiat.
Pour Myriam Darzacq, du Domaine de Paguy à Betbezer-d’Armagnac, aucun doute n’est permis à ce sujet. « Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui, après dégustation, n’ait pas aimé ça ! » confie-t-elle à Julie Ducourau du journal Sud-Ouest (25/07/2017).
La personnalité d’un terroir
Les 150 producteurs du Floc de Gascogne forment un groupe soudé, soucieux de la qualité de leur produit. La mise en place de leur propre commission d’agrément témoigne de cette volonté d’excellence, que soulignent d’ailleurs l’AOC et l’AOP.
En matière économique, l’organisation de la filière a permis de dessiner une alternative à la baisse de la production d’armagnac, divisée par trois depuis les années 1990. Aujourd’hui, les ventes annuelles de Floc avoisinent le million de bouteilles. Elles pourraient certainement être augmentées en renforçant la notoriété du produit et sa distribution commerciale, notamment dans les grandes surfaces.
L’Académie des Dames du Floc de Gascogne, créée en 1980, pourrait peut-être contribuer à une meilleure communication. Composée d’amatrices vêtues d’une jolie cape verte, l’Académie participe à de nombreuses manifestations pour assurer la promotion du Floc, avec toujours la même devise : « les capes, les bouteilles et en avant ! »
Surtout consommé à l’apéritif, le Floc de Gascogne peut très bien accompagner de nombreux produits du Sud-Ouest, à l’instar du foie gras, du melon de Lectoure et de délicieuses pâtisseries.
Il est également utilisé en cuisine pour réaliser un fond de sauce ou déglacer les sucs de viande.
Enfin, de nombreux établissements l’utilisent comme ingrédient incontournable de cocktails, à qui il apporte fraîcheur et délicatesse aromatique.