Prestige, oubli et renaissance du pâté de Périgueux

Prestige, oubli et renaissance du pâté de Périgueux


« Sachez, Monsieur, qu’il n’est de bon pâté que de Périgueux et cela ne saurait être contredit. » – Monsieur de Talleyrand

Temps de lecture : 6 mn

On se laisse tenter ? – Crédit photo : Confrérie des Maîtres Pâtissiers et du Pâté de Périgueux

La tradition des maîtres pâtissiers

« Le pâté de Périgueux, à l’origine, entre dans la vie périgourdine le 10 décembre 1407 [ Un acte passé entre le chapitre de Saint-Front, le maire Arnaud de Bernabé et les consuls confirme ce fait ]. Le créateur est Marie Raulet (un prénom masculin). Il a sa boutique sur la place du Gras en face de la cathédrale. Le 15 novembre 1498, on a des maîtres pâtissiers qui se doivent de prêter serment devant les consuls de la ville, c’est-à-dire la municipalité de l’époque, jurant de ne fabriquer des pâtés qu’avec de la bonne chair. » Les explications de Martine Balou, Directrice du patrimoine de la ville de Périgueux, interrogée par France 3 Nouvelle Aquitaine en 2021, permettent de mesurer l’ancienneté de ce produit emblématique du Périgord.

Dès le Moyen-âge, l’exigence de la qualité s’impose aux pâtissiers, dont la mission première consiste à préparer une pâte brisée qui doit servir de contenant à une subtile garniture de volailles, d’anguilles et de gibiers, préparée en amont par le cuisinier. Le tout est ensuite mis au four, afin d’être dégusté froid ou chaud comme entremets.

Au fil du temps, le pâtisser assure toutes les étapes de confection du pâté, décrochant ainsi le titre de « maître pâtissier ». Si Marie Raulet a édifié les fondements du célèbre plat, ses successeurs ont su l’améliorer et contribuer à sa réputation auprès des sphères politiques françaises et des cours royales européennes. « Les pâtissiers l’expédièrent à de nombreuses personnalités : les ducs de Mouchy et de Richelieu, le ministre Bertin, le président du Parlement de Bordeaux, l’intendant Tourny… Dès lors, l’envoi des fameux pâtés de Périgueux pour obtenir des faveurs des hommes influents dans l’espoir de garantir l’issue des procès en cours devint une pratique courante » nous apprend la revue Le Festin.

Une recette et des techniques qui évoluent

Longue est la liste de tous ceux qui permirent au pâté de Périgueux d’atteindre le firmament de la gastronomie périgourdine et française. Parmi les maîtres pâtissiers notables, il serait fâcheux de ne point citer Pierre Villereynier qui, au 17e siècle, tenta une première innovation en introduisant des perdrix rouges dans la préparation. « Après avoir plumé, vidé et flambé les perdrix rouges, celles-ci étaient emplies d’une farce riche composée de lard maigre, de foie de volaille, d’un morceau de veau et d’une petite truffe. Il suffisait ensuite de placer le tout au centre d’un pâté en croûte avant de laisser le four faire son œuvre. C’est bien froid que l’on appréciait le mieux ce plat royal. » écrivent José Santos-Dusser et Alain Bernard dans leur ouvrage Du Pâté de Périgueux et sa complice la truffe, publié en 2010 aux éditions Arka.

François-Antoine Courtois (1727-1802) joua lui aussi un rôle important dans la renommée de la spécialité périgourdine grâce à l’excellence de sa production de pâtés de grives et dindes truffées. Le roi de Prusse Frédéric II figurait parmi ses clients les plus enthousiastes.

Si la recette du pâté de Périgueux s’améliore, elle abandonne progressivement la pâte en guise de récipient à partir de 1810. C’est en effet à cette date que naît l’appertisation, un procédé de conservation par la chaleur. Dès lors, les terrines de faïence viennent accueillir la préparation, auxquelles succéderont les boîtes en fer blanc. De petites conserveries se créent dans la ville et facilitent la commercialisation, les boîtes étant envoyées aux chancelleries européennes, aux consulats et même à la marine. La qualité du produit n’est en rien altérée, mais le pâté en croûte sacrifie peut-être une partie de son âme à la vague de modernisation.

Une terrine original au nom du célèbre François-Antoine Courtois – Crédit photo : Musée d’Art et d’Archéologie du Périgord

Un autre changement majeur intervient à la fin du 18e siècle, et pas des moindres : le foie gras remplace la perdrix rouge et la truffe s’impose comme ingrédient incontournable.

L’aventure doit continuer

Et c’est bien sous cette forme que le pâté de Périgueux traverse les siècles.  Malgré son histoire, sa réputation et son goût inimitable, peut-être tombe-t-il progressivement dans l’oubli, perdu dans la multitude des nouveaux produits en conserve.

Fort heureusement, naît en 1975 la Confrérie Gourmande du Pâté de Périgueux, bien décidée à lui redonner ses lettres de noblesse. Initiée par le charcutier Meynard de la rue Limogeanne, celle qui abrita tant de maîtres pâtissiers, la confrérie suit l’ambition de perpétuer la tradition. Surtout, elle élabore une recette très précise qu’elle fait enregistrer dans le code des usages et de la charcuterie française : 40 % de foie gras de canard ou d’oie, 3 % de truffe du Périgord et 57 % de farce à base de chair de porc. Et pas question d’utiliser de la chair à saucisse, qui retirerait à la préparation toute la finesse attendue. Il convient plutôt d’avoir recours à un haché de poitrine ou de blanc d’épaule. Enfin, une (bonne) goutte d’Armagnac, de Cognac ou d’eau-de-vie vient relever la préparation.

Le recette est religieusement respectée lorsque la Confrérie des Maîtres Pâtissiers et du Pâté de Périgueux, créée en 1995, reprend le flambeau. Son Président, Francis Delpey, par ailleurs chef de l’Espace du Sixième Temps à Périgueux, éprouve toujours la même passion gourmande : « Ce que j’aime dans le Pâté de Périgueux, c’est la truffe qui parfume le gras du foie et de la farce. L’amalgame des parfums est parfait en bouche. »

Mais le plaisir se mérite. Pour déguster un produit exceptionnel, il est fortement préconisé d’attendre au moins deux ans avant d’ouvrir la boîte, le temps que la truffe diffuse toute sa saveur.

La Confrérie ne se contente pas de veiller au respect de la qualité. Consciente du lourd héritage de son produit chéri, elle a estimé qu’il était temps de revenir au vrai pâté en croûte. Pour cela, un concours est organisé chaque année afin d’inciter les artisans de Dordogne et d’ailleurs à fabriquer un véritable pâté de Périgueux dans les règles de l’art.

Pratique

Cuisiner un bon pâté de Périgueux chez soi est tout à fait envisageable, à la condition d’être bien équipé et de ne pas se laisser impressionner par les prestigieux ingrédients. Pour Francis Delpey, quelques règles méritent d’être suivies : « L’idéal est de disposer la truffe entre les couches de farce et de foie. Mais il faut alors la faire cuire une heure et demie dans un stérilisateur. Si on utilise de la truffe crue, il faut en mettre davantage : 12 grammes pour une boîte de 200 grammes, et la disposer au fond et sur le dessus. Comme ça, elle cuira (trois heures) au contact des couvercles » précise-t-il sur le site Foie Gras du Périgord.

Quelques sites nous livrent leurs recettes :

Les gourmets plus impatients peuvent passer commande de la précieuse marchandise sur des sites d’artisans locaux :

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