Le couteau de Nontron, moderne tradition

Menacé de disparition à la fin du XIXe siècle, un peu chahuté tout au long du XXe, le célèbre couteau a su négocier un formidable retour.

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Une longue histoire

Les Petrocorii, tribu gauloise installée en terres nord-périgourdines, étaient réputés pour la qualité de leur travail du fer, profitant des gisements de minerais riches en manganèse.

La région de Nontron offre, il est vrai, toutes les ressources naturelles nécessaires à la production de couteaux : des forêts composées d’une large variété d’arbres, un sol généreux en minerai de fer, les eaux très fraîches de la rivière Bandiat, parfaites pour la trempe les lames.

« Ville de Nontron » par Jbardini — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

« Ville de Nontron » par JbardiniTravail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

Tout au long du Moyen-Age, les Compagnons couteliers faisaient étape à Nontron lors de leur Tour de France. Au XIIIe siècle, Guillaume de la Villeneuve cite les « couteax de Pierregort » (couteaux de Périgueux) dans son Dit des crieries de Paris, qui décrit l’activité des marchands ambulants de la capitale.

Il est également avéré que l’épée du roi Charles VII (1403-1461) fut forgée à Nontron, un gage de qualité lorsqu’on regarde le CV guerrier plutôt fourni du compagnon d’armes de Jeanne d’Arc.

En 1653, Guillaume Legrand, maître coutelier parisien, tombe follement amoureux de Marie Belleterie, Nontronnaise pure souche, l’épouse et décide de s’installer en Périgord vert. Coup double ! En plus de gagner une femme aimante, il constate rapidement le potentiel de la région et initie la production artisanale et structurée des couteaux de Nontron. Ses descendants prendront le relais pendant quelques décennies et contribueront certainement à assoir la tradition coutelière de la magnifique bourgade périgourdine.

Au XVIIIe siècle, l’activité sidérurgique s’impose en Dordogne. Les forges se multiplient le long des rivières. Une quarantaine de coutelleries voit le jour, dont cinq à Nontron, parmi lesquelles la coutellerie Bernard, gérée par deux frères et leurs quatre fils. L’un d’entre eux, Guillaume, se marie en 1777 à Marguerite Petit et initie son beau-père. Les familles Bernard et Petit dominent la production locale tout au long du XIXe siècle, même si d’autres couteliers contribuent à la renommée du fameux couteau : Bardy, Bouchaud, Mériguet…

Les couteaux Petit sont remarqués dans de nombreuses expositions commerciales et industrielles. En 1849, André Petit, très ému, est récompensé à l’exposition quinquennale des produits de l’industrie de Paris. Une médaille lui est également remise lors de l’exposition universelle de Paris en 1900. Le sacre.

L’artisanat nontronnais est à son apogée, la maîtrise technique impressionne. Un document de 1827 relate la fabrication de couteaux si minuscules qu’ils peuvent être rangés dans une coquille de noix. Ces mini-pièces sont d’ailleurs toujours conçues aujourd’hui.

Les couteliers enrichissent et diversifient leur production, au-delà du simple couteau. Ainsi, des ciseaux, des rasoirs et même des sécateurs commencent à sortir des ateliers.

Hélas, la fin du XIXe et le début du XXe marquent un coup d’arrêt au développement de la petite industrie nontronnaise. Les couteliers n’ont certainement pas su anticiper suffisamment les nouvelles attentes des clients, les évolutions des procédés de fonte ou adapter leurs outils de production et doivent fermer boutique les uns après les autres. En 1905, seules deux coutelleries perdurent, dont l’entreprise Petit, qui deviendra l’unique fabricant à partir de 1928. Elle change de nom, au profit de la Coutellerie Nontronnaise. En 1931, elle est rachetée par Alphonse Chaperon, le garagiste de la ville.

Son fils Gérard assure la direction de l’établissement de 1943 à 1986, date à laquelle il est acquis par Bernard Faye, qui le cède finalement à la société Forge de Laguiole en 1992.

Le dernier rebondissement intervient en 2007 lorsque la Forge de Laguiole dépose son bilan. Son repreneur, Thierry Moysset, assure depuis la gérance de la Coutellerie Nontronnaise, qui emploie une petite vingtaine d’artisans, dont les mains expertes façonnent chaque année près de 60 000 pièces. L’entreprise, qui a su diversifier sa production et contribuer à préserver le savoir-faire séculaire, continue de nourrir la culture locale, que l’on n’imagine pas voir disparaître un jour.

Les amateurs de belles choses peuvent se rendre à l’atelier, magnifique bâtiment dessiné par Luc Arsène-Henri en 2000, afin d’observer le minutieux travail de l’équipe de la coutellerie.

Fabrication artisanale avant tout

C’est un fait : le couteau de Nontron est une très belle pièce, reconnaissable entre mille. Sa fabrication, loin de la production quasi industrielle des Opinel, nécessite une quarantaine d’opérations, toutes réalisées manuellement par le même artisan.

Chaque maître-coutelier conçoit une vingtaine de pièces par jour. Ce sont environ 60 000 unités qui sortent de l’atelier chaque année.

Les lames, en forme de feuille de saule, ne sont plus forgées ni conçues sur place depuis 1928. L’acier provient des aciéries de Bonpertuis, en Isère, puis les lames sont forgées à Laguiole avant d’être envoyées à Nontron.

Les couteaux de poche bénéficient d’une lame en acier au carbone, qui s’oxyde au fil des années, alors que l’acier des couteaux dédiés à la cuisine est enrichi de chrome afin de rendre la lame inaltérable.

Le bois utilisé pour le manche est généralement du buis, coupé après une quinzaine d’années dans les forêts environnantes, et séché pendant quatre ans. Néanmoins, certains manches sont conçus à partir d’autres variétés de bois dur : genévrier, amourette, ébène, bois de rose ou palissandre.

Le coutelier découpe d’abord les branches de bois à l’aide d’une scie à ruban. Les pièces sont ensuite tournées en utilisant un outil dédié, qui apporte la forme définitive au manche. Plusieurs finitions sont possibles : queue de carpe, violon, boule, sabot…

Une fois le manche terminé, l’artisan procède à l’assemblage, consistant à installer la virole fixe, monter la lame, riveter le clou, placer la virole tournante.

L’opération de pyrogravure peut être considérée comme la signature du Nontron. Le coutelier utilise deux fers : le premier pour les pointillés, le second pour le fameux motif en forme d’arc entouré de trois points.

Un motif mystérieux...

Un motif mystérieux…

Les supputations ont d’ailleurs toujours été nombreuses et diverses autour de la signification de cet étrange motif. Compas tiré du symbole des Compagnons du Devoir ? Clin d’œil maçonnique ? Signe du « Vittor » des étudiants de Salamanque au XVIe siècle pour fêter leurs diplômes ? Dessin maure, témoignage des invasions sarrasines en Périgord au VIIIe siècle ? Le mystère reste entier et insoutenable.

Enfin, la dernière étape de conception, et non des moindres, est la finition. Après une minutieuse observation de la pièce qu’il vient d’assembler, le coutelier procède au ponçage et au polissage du manche, au réglage de la lame et à son affûtage.

Alléluia ! C’est terminé. Le plus ancien couteau fermant de France, rustique mais sophistiqué, doré mais modeste, sage mais joueur, vient une nouvelle fois de prendre vie dans les mains de l’artisan, continuant de nourrir la longue histoire de la coutellerie périgourdine.

S’adapter au marché d’aujourd’hui

S’il n’est certes plus le fidèle compagnon des paysans périgourdins (même si cela demande à être vérifié), le couteau de Nontron profite de la qualité de sa fabrication et de ses siècles de présence pour répondre aux attentes des collectionneurs et des clients à la recherche de produits soignés.

Depuis l’année 2000, la Coutellerie Nontronnaise fait régulièrement appel à des designers prestigieux qui apportent un regard nouveau et leur créativité. Ainsi, Christian Ghion, créateur du vase Gorgonia pour Daum Design et de nombreux flacons pour Dior et Saint-Laurent, a dessiné les collections TD ou Kanjin. Sa gamme de couverts a obtenu en 2009 le 1er prix des TADI (Trophées Aquitains de Design Industriel).

Olivier Gagnère, à qui l’on doit diverses créations pour les porcelaines Bernardaud, a quant à lui conçu les pièces de la collection qui porte son nom.
La réputation du Nontron a permis d’orienter la fabrication vers d’autres gammes de produits : fourchettes, casse-noix, couteaux à pain, pelles à gâteau… Mieux, les objets des arts de la table sont dotés de manches en frêne densifié, une astuce leur permettant de subir les assauts répétés du lave-vaisselle, ce qui n’aurait pas été le cas si le buis avait été conservé.

Aujourd’hui, bon nombre de ces pièces intègrent des tables prestigieuses à travers le monde. En France, on les trouve notamment au Château du Prince Noir, de Jean-Marie Amat, au Saint-James de Michel Portos ou encore à l’Auberge du Vieux Puits de Gilles Goujon.

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Enfin, le couteau de Nontron est fièrement représenté chaque année à la Fête du Couteau, organisée dans la même ville, qui attire des milliers de visiteurs au début du mois d’août. L’évènement est l’occasion de réunir une centaine de couteliers du monde entier et de découvrir tout le processus de fabrication des couteaux. Les plus passionnés peuvent même s’essayer à la forge.


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Pratique:

La Manufacture Coutellerie Nontronnaise organise des visites quotidiennes et gratuites de ses ateliers.
Ouverture: Du lundi au vendredi de 9h à 12h et 13h30 à 17h30 (magasin ouvert jusqu’à 18h30).Fermé les week-ends et jours fériés.
Adresse et contact: Place Paul Bert 24300 NONTRON – Tél. 05 53 56 01 55