Vin de sable des Landes : le nectar des dunes

Produit depuis le 13e siècle, le vin du littoral landais a régalé les cours royales européennes avant de disparaître. Il renaît des sables depuis une vingtaine d’années, grâce aux efforts de vignerons passionnés.

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Vignaoble du vin de sable dans les Landes

Le vin de sable avait disparu, jusqu’à sa renaissance – Crédit photo: Domaine de la Pointe

De la nécessité de fixer les dunes

On le sait, la période gallo-romaine a permis la plantation des vignes, particulièrement dans le Sud-Ouest. Si le vignoble de Bordeaux s’est imposé de manière assez incontestable, la culture viticole a pu s’étendre aux contrées voisines.

Dans les Landes, les vins de Tursan et de Chalosse ont également rencontré un réel succès. Ils sont d’ailleurs servis à la table des empereurs romains. Au 12e siècle, le mariage d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II Plantagenêt permet leur exportation vers l’Angleterre. On les savoure même aux Pays-Bas.

Mais évoquer les vins landais sans mentionner le vin de sable n’offrirait qu’une vision incomplète de la production locale.

Dès le 13e siècle, les paysans et les pêcheurs du littoral, de Capbreton à Hossegor, réussissent à fixer les dunes grâce au vignoble. Les ceps enfouis dans le sable donnent naissance à de multiples racines, qui s’allongent parfois sur plusieurs mètres, contribuant ainsi à stabiliser le sol sableux.

Cette fixation s’avère nécessaire pour protéger les cabanes de pêche, les habitations et les cultures de l’ensablement.

Le vignoble des dunes se compose de petites parcelles, divisées par des palissades faites de genêts, de fougères et de brandes. Leur rôle est de préserver les cultures des vents dominants venus de l’océan, dont les embruns se révèlent particulièrement néfastes.

Face à un environnement aussi difficile, les vignes se doivent d’être basses. Les jeunes sarments ne reçoivent aucune taille. Les grappes reposent ainsi sur le sable chaud en plein été, qui contribue à leur maturité grâce à la réverbération du soleil.

La proximité de l’océan permet également de ne pas subir les gelées printanières.

L’influence des Templiers puis l’apogée commercial

Si la vocation première du vignoble a consisté à fixer les dunes, les habitants ont constaté que leur vin se révélait particulièrement bon. Grâce à la qualité de ses couleurs et la finesse de son bouquet, le vin de sable acquiert une jolie réputation.

Installé à Capbreton, l’Ordre des Templiers encourage sa production. La boisson est servie aux pèlerins de Compostelle, aux malades des hospices et sert bien sûr de vin de messe.

Les Templiers utilisent également leur réseau commercial pour vendre et diffuser le doux breuvage.

Il convient donc d’entretenir les vignes, au prix d’efforts importants. Les hommes étant en mer, le labeur revient aux femmes et aux enfants. La pente des dunes n’autorise pas le recours aux chevaux et charrettes. C’est en posant des corbeilles sur leur tête que les femmes transportent le sable, alors que les enfants se chargent de ramasser le guano, qui sert d’engrais aux cèpes.

Ce travail fastidieux finit par payer. Le vin de sable devient prisé, hors des limites du territoire landais. Au 17e siècle, le vignoble de Messanges permet la production de 300 000 litres de vin, destinés au pays, mais également exportés vers les capitales européennes.

Le vin rouge de Capbreton est servi à la cour du royaume de France, où il est particulièrement apprécié. On n’hésite d’ailleurs pas à le surnommer le « vin des rois ».

La qualité du vin de sable assure sa pérennité jusqu’au 18e siècle. Les villages de Capbreton, Vieux-Boucau, Seignosse, Messanges et Moliets contribuent à la production pour répondre à la demande. Les hivers rigoureux et la Révolution française perturbent les récoltes, sans jamais les condamner.

Selon l’anthropologue Frédéric Duhart, le vin de sable est considéré comme un produit précieux puisqu’une pièce de vin vieux de Capbreton vaut cent livres en décembre 1789.

Disparition et renaissance

Tout au long du 19e siècle, les crises de l’oïdium, du mildiou et du black rot ravagent le vignoble des dunes. La production s’effondre. Seules quelques vignes subsistent à Capbreton, Moliets, Lit-et-Mixe et Messanges.

vignes sur les dunes au 19e à Capbreton au

Le vignoble des dunes à Capbreton au 19e siècle.

En 1895, le comte Clément d’Astanières, ancien hussard et sculpteur, s’installe à Capbreton, où il décide de lancer une exploitation agricole sur une trentaine d’hectares. Grâce à son initiative, les vignes repartent à la conquête des dunes, mais sur un périmètre limité.

Au 20e siècle, le vignoble, laissé à l’abandon, périclite. Sur le littoral, la construction du mur de l’Atlantique porte un coup fatal aux ceps, arrachés sans ménagement.

Les années 1950 marquent l’essor du tourisme. Les communes du bord de mer landais se transforment en stations balnéaires. Le vin de sable devient un souvenir, de plus en plus lointain.

Il faut attendre 1995 pour que les vignes se réinstallent dans le paysage sableux, à l’initiative de Nicolas Tison, exploitant du Domaine de la Pointe.

La modernité au service des traditions

L’ingénieur agronome, soucieux de respecter les pratiques séculaires de culture, décide de relancer la production à Capbreton, utilisant du compost pour la fertilisation et procédant à un désherbage mécanique. Il privilégie également le bio et la biodynamie.

La vigne la plus éloignée du littoral, à environ 800 mètres, profite des dunes pour se protéger du vent salé. Celle à proximité de la mer se destine à un vin classé IGP Landes.

Comme à l’époque, le soleil et la chaleur du sable facilitent la bonne maturité du raisin. Les vignes continuent d’être basses, en taille courte, selon une densité de plantation importante pour un rendement faible.

Les cépages sont similaires à ceux que les marins vignerons utilisaient : chenin et crouchen pour les blancs ; cabernet franc, cabernet-sauvignon, tannat pour les rouges.

L’environnement fragile et accidenté interdit bien sûr les vendanges mécaniques.

Toutes ces contraintes n’empêchent pourtant pas le vigneron de persévérer. Après avoir été triés, les raisins sont travaillés manuellement. Le vin est ensuite stocké dans de petites cuves afin de faciliter les interventions.

Le Domaine de la Pointe propose aujourd’hui deux cuvées, en blanc sec, rouge et rosé.

L’initiative de Nicolas Tison, qui a cédé son domaine en 2018, semble en avoir encouragé d’autres. Ainsi, Philippe Thévenin exploite depuis quelques années le domaine de Malecarre à Messanges. Son vignoble de 70 ares ne permet que de produire 650 bouteilles, mais le vigneron contribue à la renaissance du vin de sable, à l’image de la demi-douzaine d’exploitants installés sur le littoral. Le vignoble des dunes s’étend aujourd’hui sur 300 hectares, de Lit-et-Mixe à Capbreton.

Des vins appréciés et salués

Les efforts consentis ces dernières décennies semblent porter leurs fruits. Malgré sa production limitée et sa diffusion commerciale restreinte, le vin de sable recueille des critiques enjouées.

Selon le Figaro, « Les vins produits sont marqués dans l’ensemble par des arômes fruités, toujours présents. Les rouges présentent plus précisément des structures douces aux tannins mûrs et suaves, tandis que les rosés et blancs se démarquent par leur équilibre, leurs arômes fruités et leur fraîcheur. »

« Cette cuvée, Les pieds dans le sable du Domaine de la Pointe, est un vin blanc très intéressant alliant intensité aromatique, fraîcheur et vivacité ! bref c’est un blanc qui a du pep’s ! » écrit le site Simplement Vin. Impression confirmée par le site Les Grappes : « La robe est claire, limpide et brillante, le nez riche, frais et aromatique, la bouche vive et franche. On y retrouve des notes d’agrumes et de fruits exotiques. Il nous laisse une finale saline avec une jolie tension. »

bouteilles de vin de sable

Des vins originaux qui méritent d’être découverts – Crédit photo: Domaine de la Pointe

La production du domaine de Malecarre séduit également les professionnels : « Plantées dans les sables, quasi en bord de mer, les vignes de cabernet franc et sauvignon donnent naissance à ce rosé à la robe claire et délicate entre pétale de rose et peau d’orange. C’est sa grande fraîcheur qui lui confère tout son charme : au nez, à travers des parfums acidulés de citron nuancés de silex, et dans une bouche mêlée de fruits rouges et d’agrumes. » – Guide Hachette des vins.

Les amateurs et curieux, frustrés de ne pas trouver le doux nectar landais chez leur caviste, se tourneront vers les sites de vente en ligne, pour des tarifs compris entre 10 et 20 € la bouteille.

Un prix somme toute modeste pour découvrir un vin jadis considéré comme prestigieux.